La Cour de Babel : entretien avec la réalisatrice Julie Bertuccelli

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L’Observatoire de la Diversité Culturelle vous propose de découvrir un extrait d’entretien avec Julie Bertuccelli, réalisatrice du film la Cour de Babel, que nous aurons le plaisir de rencontrer le 28 mai au Cinéma Etoile Lilas

Portrait de la réalisatrice Julie Bertuccelli  

Julie Bertuccelli

Julie Bertuccelli

D’abord assistante à la réalisation auprès de Otar Iosseliani, Rithy Panh, Krysztof Kieslowski, René Féret, Emmanuel Finkiel ou encore Bertrand Tavernier, Julie Bertuccelli démarre sa carrière de réalisatrice en 1993. Son regard particulièrement humain se révèle d’abord dans une dizaine de documentaires tournés pour Arte, France 3 et France 5. Ils lui vaudront de nombreuses sélections en festival et plusieurs distinctions dont le Prix du Patrimoine pour La Fabrique des Juges (1998) au Cinéma du Réel. Parmi ses œuvres les plus marquantes : Bienvenue au Grand Magasin (1999), une « comédie documentaire » consacrée au quotidien des Galeries Lafayette, des vendeuses jusqu’aux grands patrons, et son portrait drôle et exaltant de Otar Iosseliani, Le Merle Siffleur (2006), projeté notamment aux festivals de New York et de Locarno. Mais c’est son travail en fiction qui lui ouvre l’accès au grand public. En 2003, elle réalise son premier long-métrage, Depuis qu’Otar est parti…, récompensé notamment par le Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2003, le César du Meilleur Premier Film, le Prix Marguerite Duras et le Prix Michel d’Ornano. Tourné en Australie, en anglais, avec Charlotte Gainsbourg dans le rôle principal, L’Arbre, son deuxième long-métrage, est présenté en 2010 en Sélection officielle au Festival de Cannes pour la soirée de clôture. Julie Bertuccelli a été élue en juin dernier présidente de la Scam. Parallèlement à la sortie de La Cour de Babel, elle travaille actuellement sur un troisième long-métrage de fiction.

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Pourquoi un documentaire sur les classes d’accueil ?   Comme souvent, le hasard d’une rencontre. J’étais jurée dans un festival de films scolaires et Brigitte Cervoni et sa classe y participaient. Des adolescents venus des 4 coins du monde sont arrivés avec leurs visages, leurs accents chacun différents, et une énergie hors du commun. J’ai eu très envie d’aller voir comment ça se passait dans une classe d’accueil. J’avais prévu une année de repérage dans plusieurs collèges pour faire une sorte de casting et écrire un dossier. Mais à la rentrée scolaire, j’ai vu la nouvelle classe de Brigitte, et j’en suis tombée amoureuse. C’est rare de voir autant de pays représentés dans une même classe. Ils avaient des caractères et des talents très différents, très marquants. J’ai eu envie de commencer tout de suite à tourner et la productrice m’a suivie, sans financement. Arte et Pyramide nous ont rejoints en cours de montage.

Tous les élèves de cette classe sont des adolescents…                                                   Je trouvais intéressant que ce ne soit pas des tout-petits qui arrivent, pour lesquels ça peut être plus facile. Plus on est jeune, plus on s’adapte rapidement. Mais des adolescents qui viennent d’arriver, entre deux âges, entre deux mondes… Ils ont déjà vécu de longues années dans leurs pays respectifs et c’est un déracinement très fort à cet âge-là. En France, ils sont presque déjà des adultes parce qu’ils ont des responsabilités très lourdes sur les épaules. Ils sont parfois chargés de famille, car ils sont souvent les seuls à parler le français. Ils ne sont pas encore dans l’après-immigration ou le ras-le-bol. Ils ne sont pas enfermés dans une catégorie d’immigrants qui les stigmatiserait ou rejetterait. On sait que cette impasse ou cet avenir peuvent arriver, mais en même temps on sait que tout est encore possible. Ils sont pleins d’espoir. Je montre peut-être un sas protecteur et idéal, une utopie en action, mais je montre aussi un petit théâtre de notre monde où l’énergie de l’espoir peut faire des miracles tout comme la confiance et l’accueil prodigués à ces jeunes…

Tout est filmé dans l’enceinte du collège. Vous n’avez pas eu la tentation d’aller voir comment les élèves vivaient en dehors ?                                                    Je n’ai pas eu envie d’entrer dans l’intimité des familles, ni de filmer leur vie quotidienne. Ce n’était pas le sujet. Je voulais filmer une classe, comme un microcosme, et découvrir comment ces adolescents vivaient, parlaient, grandissaient ensemble. Ce qui se passe dans le cocon de cette petite communauté me semblait un révélateur suffisant de leurs personnalités et de leurs parcours.Par ailleurs, les familles respectives existent dans le film, mais toujours dans le huis clos du collège, puisque j’ai filmé les parents quand ils rencontrent la professeur avec leurs enfants. Dans ces rencontres s’entrouvre leur intimité, en laissant libre notre imaginaire et en rendant plus fort le hors-champ.

Vous avez filmé combien de temps ?                                                                                  J’ai suivi la classe sur une année scolaire. J’y allais en moyenne deux fois par semaine. Brigitte me prévenait des thèmes qu’elle allait aborder et je sentais si quelque chose pourrait se passer. J’ai filmé une quantité de choses que je n’ai pas gardées, des sorties, les conseils de classe… Et puis il y avait les cours de grammaire, d’orthographe, de pur français. Je les ai filmés un peu mais je ne voulais pas faire un film sur l’apprentissage du français. Il y a eu aussi des frustrations terribles. J’arrive et on me dit : « Hier, c’était génial! »… On ne peut pas tout anticiper. Par exemple, je n’étais pas présente le matin où Kadhafi a été assassiné. Maryam, la jeune Libyenne, est arrivée avec le journal et la photo, toute émue et heureuse, une discussion politique houleuse a spontanément suivi, je l’ai ratée !

Justement, parlons de certains sujets « sensibles » que vous n’éludez pas, comme la religion par exemple…                                                                                                 C’est une scène que je trouve magnifique : comment la laïcité rentre dans l’école et d’un coup s’impose à tous. Lors de cette séance, chacun devait apporter « son » objet. Plusieurs d’entre eux ont choisi des objets très personnels, poupées, photos… Youssef a apporté son coran et Naminata sa bible… Pour la petite Djenabou, Dieu c’est « son meilleur ami », Dieu il n’y a que ça, et là ils démarrent tous au quart de tour, discutent, argumentent, égratignent… Et au bout d’un moment, Djenabou coupe court aux discussions et conclut par « on ne sait même pas si Dieu il existe ! ». Elle ne serait pas venue dans cette école laïque en France, elle n’aurait peut-être jamais douté comme ça. Ce doute-là, le voir émerger chez les adolescents, c’était très émouvant.

Vous avez réalisé une quinzaine de documentaires qui reposent tous sur un travail d’immersion. C’est votre façon de travailler ?                                                J’aime travailler dans la durée. J’aurais beaucoup de mal à faire un documentaire à partir d’une semaine d’interviews. Je préfère observer la vie qui se fait sans moi plutôt que de la fabriquer. Je me mets au service des personnes que je filme, je travaille à rendre les personnages les plus complexes et les plus beaux possible. Je n’avais pas envie d’autre chose. Je voulais être à leur niveau, simple. Ce sont les personnes qui m’intéressent, pas la recherche esthétique. Le bâtiment, je le filme quatre, cinq fois, simplement, sans faire des effets « flou machin », sans en faire 36 tonnes. Du coup, ce collège ressemble à toutes les écoles.Même si j’adore partir très loin pour réaliser une fiction, je préfère filmer les documentaires près de chez moi. On a toujours intérêt à aller voir autour de soi, dans son voisinage. C’est souvent là qu’on est le plus surpris, que les voyages sont les plus beaux et qu’on peut être le plus utile…

Pensez-vous que La Cour de Babel peut être utile ?                                                     En tout cas, c’est un film que j’ai vraiment envie de partager. J’ai été très étonnée d’apprendre que ce dispositif de classe d’accueil existe en France. C’est quand même une chose géniale, et aujourd’hui il faut se battre pour que ça continue. Cela permet à tout jeune étranger débarquant en France d’apprendre le français, de réussir sa scolarité et, surtout, de favoriser son intégration en France. Je ne crois pas qu’on puisse rester insensible à ce qu’on voit dans le film. Il fera, j’espère, résonner les débats actuels, souvent nauséabonds. J’espère qu’il pourra aider à inverser les a priori, contrecarrer les préjugés, faire réfléchir plus intimement, donner de l’empathie à ceux qui en manquent, et donner du courage et de l’élan à ceux qui luttent pour le respect et l’accueil. Entre l’enfant de diplomate, celui qui vient pour étudier le violoncelle, celle qui arrive pour retrouver sa mère, celle qui est en attente d’un droit d’asile, celui dont la mère est venue pour une histoire d’amour, celle dont le père vient chercher du travail, celui qui a été chassé de son pays par des groupes néo-nazis, tous représentent divers cas d’immigration. Ils portent en eux une culture radicalement différente, qu’ils confrontent à notre propre culture. Les questions de l’exil et de l’intégration, mais aussi leur regard neuf et critique sur notre monde actuel et sur notre société qu’ils découvrent, résonnent dans cette classe parisienne d’une manière singulière et vivante. Tous sont des enfants courageux, matures, qui portent des responsabilités très lourdes et affrontent leur destin. Pour ces jeunes, l’identité, vécue comme une double appartenance au pays d’origine et au pays d’accueil, est désormais et à jamais plurielle. Ce sont des héros de la vie d’aujourd’hui, ils sont une richesse pour notre pays. 

Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur le lien suivant Pyramide Distribution

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